Lorsque l’on est bédéphile, s’éloigner de sa bédéthèque n’est pas une raison pour cesser de lire. Quoi qu’on en pense, tout le monde lit des BD, et un voyage est toujours l’occasion de découvrir ce qui intéresse nos hôtes. Coup de chance, cet été je passe chez mon frère en Corse, et on a à peu prêt les même goûts. Vous trouverez donc au fil de l’été quelques chroniques vocalement reposantes sur ce que j’ai subtilisé dans sa bibliothèque.
Un prix d’Angoulème est toujours un sujet de curiosité, d’autant plus s’il s’agit du prix de l’audace. Mais la couverture des Noceurs est peu avenante, avec ce mélange bigarré de couleur enchevêtrée. C’est donc avec une certaine appréhension que j’entame l’ouvrage.
Et c’est plutôt avec raison, me dis-je en avançant dans la première partie.
Gert invite des vieux « amis » à une soirée, mais ceux-ci ne sont venus que pour voir Robbie, le fêtard le plus réputé de la ville. Pourtant Robbie ne semble pas vouloir arriver, et l’on se demande si Gert n’a pas pathétiquement menti sur sa présence pour attirer du monde à sa petite fête.
Chaque personnage est représenté dans sa teinte de couleur, teinte que prennent aussi ses propos. Le procédé est intéressant, mais l’absence de bulle nuit un peu à la lisibilité. On passe beaucoup de temps à se demander qui dit quoi. Pourtant, on s’attache assez rapidement à Gert le gris, dont on devine la vie triste et insipide de par son inaptitude à se faire remarquer.
A ce stade de la lecture on a l’impression d’être dans un récit intello sans réelle fondement.
Le ton de la seconde partie est radicalement différent : même si les mêmes artifices graphiques sont employés, on suit cette fois ci beaucoup moins de personnage; ce qui rend la lecture plus limpide. Noumie et une amie se rendent à une soirée dans la boite de Robbie. Noumie rencontre ce dernier fortuitement, et il l’entraîne dans la folie de sa nuit, entre rencontres insolites, voiture à pédale et fantôme du disco (entre autre), jusqu’à une apothéose sexuelle graphiquement très puissante.
Ok, l’auteur est balaise, mais on ne sait toujours pas ou l’on va.
Jusqu’à l’ultime partie, ou l’on découvre que Gert et Robbie sont réellement ami, mais on fait des choix de vie et de personnalité diamétralement opposé. Se pose alors toute la question de la limite entre une vie festive et une vie productive. Peut-on faire la fête toute sa vie ? Doit on réfléchir aux conséquences de ses envies ?
Evens semble avoir fait son choix.
Cette BD m’a surpris, m’emmenant là ou je ne l’attendait pas, en révélant des interrogations que l’on préfère taire. Un ouvrage déroutant, certes, mais qui mérite amplement son prix de l’audace.
En deux mots :
– Genre : réflexion intimiste
– Dessin : tâches colorées
– Scénario : parallèles désenchantés